Déplacés internes : A Djibo, les humanitaires préservent la dignité

Publié le lundi 16 septembre 2019 à 17h48min

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Déplacés internes : A Djibo, les humanitaires préservent la dignité

Elles affluent des quatre coins de la province du Soum, et pas seulement. Les populations fuyant l’insécurité arrivent en vagues incessantes dans le chef-lieu de la province, Djibo. Malgré le contexte difficile, des organisations d’aide humanitaire sont aux côtés des milliers de déplacés internes. Soulager la douleur, aider à préserver la dignité humaine, en espérant le retour de la sécurité.

Bangharia le 1er aout 2019. Des hommes armés font irruption dans ce village situé dans la commune de Nassoumbou, province du Soum. Ils lancent un ultimatum aux villageois. Dans une semaine, ils seront de retour et s’ils y trouvent une âme, c’est fini pour elle. Dès le lendemain, c’était le sauve-qui-peut. Le bétail, les vivres, les champs déjà ensemencés, principales richesses, sont abandonnés. Une nouvelle vie d’incertitudes commence alors pour ces milliers de villageois qui, pour la plupart, ne connaissent que Bangharia. Mais où aller, alors qu’en pareille circonstance, les menaces sur un village affectent ceux environnants ?

Les portes de la direction provinciale du ministère de la Femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Soum sont fermées à clé en ce jour ouvrable du 14 août 2019. Au dehors, des centaines de personnes, notamment des femmes et des enfants, sont assises sous des arbres, sous le hangar qui sert de parking, ou arrêtées face aux portes closes.

Et pourtant, le personnel à l’intérieur de l’enceinte ne chôme pas. « Pour notre sécurité, on est obligés de bloquer toutes les portes et de faire rentrer les gens par vague. C’est vraiment très compliqué », nous lance un agent, au pas de course.

Les enregistrements sont en continue à la direction provinciale du ministère en charge de l’action humanitaire

« A vrai dire, actuellement nous sommes débordés. Jusqu’à présent nous enregistrons des ménages qui viennent de partout et même en dehors de la province. C’est non-stop. Les prévisions sont largement dépassées. Ces derniers jours, nous avons atteint le pic. De plus en plus, les villages se vident, les gens disent qu’ils ont été menacés. Qu’on leur a lancé un ultimatum de 72 heures à une semaine pour libérer le village », nous confie une source sur place, très sollicitée.

« Voir tout un village se déplacer ? Nous n’avons jamais vu ça », martèlera-t-il plus tard. Les derniers enregistrements concernent le village de Bangharia et Sona (village de la commune de Tongomayel) également touché par cette insécurité chronique et rampante dans la province. Un petit entretien sur la taille de la famille, le nombre d’enfants, les raisons du départ est fait avec chaque chef de ménage pour guider la prise en charge.

L’action des humanitaires dans un contexte difficile

Les femmes et les enfants sont plus nombreux

Après l’enquête par ménage, la direction provinciale en charge de l’action humanitaire assiste les ménages notamment en vivres par le truchement du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation CONASUR. Mais la demande est forte et les partenaires apportent leur concours pour alléger le fardeau de ces ménages qui ont presque tout perdu dans leur fuite. Entre autres, le Programme alimentaire mondial (PAM), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Croix-Rouge burkinabè accompagnent les déplacés internes en vivres et en non vivres.

Le CICR qui s’occupe par exemple des déplacés internes originaires des communes de Nasoumbou, Koutougou et Diguel, offre chaque mois et par ménage, des kits complets cuisine (trois casseroles, 10 assiettes, couteau, cuillères, louches, seaux), des pagnes, du savon, du coton pour femmes... Les vivres sont composés de sacs de riz (60kg), un sac de mil (80kg), 20 litres d’huile, 40 kg de haricot, 2 kg de sucre, 2kg de sel, 12kg de farine enrichie pour enfants. La Croix rouge, elle, prend en charge les déplacés internes de Baraboulé, Tongomayel et Djibo.

Ganaba Hamadoun est arrivé à Djibo depuis 9 mois, en provenance de Damba, un village de la commune de Nassoumbou. Nous le retrouvons non loin du marché de la ville. Assis sur un banc, il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de ses bienfaiteurs. « Ils m’ont beaucoup aidé. J’ai une famille de 17 personnes et c’est grâce à eux (humanitaires, Ndlr.) que nous vivons parce que quand je suis parti du village, je n’ai rien pu prendre ».

Le regard placide, il parle de son bétail, sa principale richesse, qui est dans la nature et dont il n’a aucune nouvelle. La vie en ville n’est pas facile, malgré l’action des humanitaires, confesse-t-il. « Ça ne me plait pas, mais je n’ai pas le choix. Ici on paye tout, la maison, même l’eau ». Son seul vœu, retourner à Damba, son village natal. Mais quand ? Lui demandons-nous, « Dieu seul sait », se contente-t-il de répondre en langue sonraï, traduit par le volontaire d’une organisation d’aide humanitaire qui nous accompagne.

Pour des populations qui ont tout perdu, une nouvelle vie est en construction. Sur tous les plans, le besoin est criard. Sur plusieurs sites de la ville de Djibo, les déplacés internes reçoivent des vivres de la part du Programme alimentaire mondial. Nous sommes en mi-août, période de soudure et les bénéficiaires dans leur fuite n’ont pas eu le temps d’emmener avec eux les récoltes de la saison écoulée.

Le visage aminci, Moussa Boukary, ressortissant de Soboulé, cultivateur et chef d’une famille de 15 personnes, vient de prendre sa provision de deux mois, composée de sorgho, de haricot et d’huile. « Je n’avais plus rien, je ne savais pas comment nourrir les nombreuses bouches qui m’attendent à la maison », raconte-t-il avant de charger les sacs de vivres dans une charrette, pendant que des centaines de personnes attendent d’être servies.

Djibo, le plus important site d’accueil des déplacés internes

Les femmes et les enfants sont plus nombreux

La province du Soum abrite trois sites d’accueil officiel. Celui de Djibo, de Arbinda et de Kelbo qui dispose carrément d’un camp. « Il y a près de 30 000 déplacés à Koutougou et à Baraboulé et dans d’autres communes, mais pour des raisons de sécurité, on ne peut pas aller dans ces zones », précise un interlocuteur.

A la date du 31 juillet 2019, les chiffres de la direction provinciale étaient à plus de 100 000 déplacés et Djibo en accueillait plus de la moitié. Selon un rapport du Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés, 59 % des déplacés vivent dans la communauté d’accueil, 35% dans des logements individuels, 4% dans des sites spontanés et 1% dans des centres collectifs. 81% des populations déplacées de la province du Soum sont dans la commune de Djibo.

La même étude précise que la distribution et la répartition par âge et par genre met en évidence une forte proportion d’enfants au sein de la population déplacée. En effet, les individus de moins de 18 ans représentent 61% de la population déplacée.

Les familles d’accueil sont donc l’option privilégiée par le gouvernement quand les réfugiés ont des parents ou connaissances qui acceptent de les héberger. Dans le cas contraire, grâce à certains partenaires, des solutions palliatives sont trouvées.

« Tous les ménages qui arrivent et qui n’ont pas de famille d’accueil ont des tentes bien aménagées équipées de plaques solaires », nous précise un agent de la direction provinciale en charge de l’action humanitaire. Ainsi, grâce au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 350 tentes ont été mises à la disposition de la direction provinciale en charge de l’action humanitaire. 150 ont déjà été installées à Djibo.

En plus, le HCR a assisté 1400 ménages de personnes déplacées internes en ressources financières, 50 à 250 000 F CFA pour leur permettre de s’installer, aménager leur nouvel habitat. 400 familles d’accueil et 100 ménages vulnérables ont également perçu des allocations.

Ganaba Hamadoun(en blanc) originiare de Damba dans la commune de Nassoumbou et chef d’une famille de 17 personne reconstruit sa vie grâce à l’action des humanitaires

C’est grâce à ces ressources que Salou Dicko loue une maison dans une zone communément appelée non lotie à Djibo, pour loger sa famille de 9 personnes. Depuis trois ans qu’il a fui l’insécurité, cet ancien cultivateur espère retourner un jour dans son village et surtout permettre à ses deux enfants de poursuivre leur scolarité interrompue en classe de CP2. « J’ai reçu l’aide de la Croix rouge et du CICR. De l’huile, du riz, du mil, du haricot. Ils m’ont également construit un hangar. ».

Comme les autres déplacés internes, le vœu le plus cher de Salou Dicko c’est de retourner à Sona pour reprendre une vie « normale » et offrir la chance à ses deux enfants de poursuivre leur scolarité interrompue brusquement en classe de CE1. « C’est ce que je veux vraiment. S’ils vont à l’école, à la longue, ce sont eux qui vont s’occuper de moi et de la famille », dit-il d’une petite voix.

La crise sanitaire, l’autre danger oublié…

En mi-Août, le Programme alimentaire mondial a distribué des vivres pour deux mois au ménages vulnérables de la province du Soum

Selon le profilage des personnes déplacées internes effectué par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et publié en janvier 2019, le premier besoin indiqué par 80% des ménages est l’accès à l’alimentation. Le même besoin a été exprimé par 14% des ménages en tant que besoin secondaire et 4% des ménages en tant que troisième besoin prioritaire. En cumulant les réponses sur les trois besoins prioritaires, l’alimentation est indiquée par 98% des ménages, 44% des ménages pour les abris et 34% des ménages pour les biens non alimentaires.

Pour 40% des ménages, au moins un membre de la famille est tombé malade depuis leur arrivée. Le paludisme (79%), la toux (37%), la diarrhée (20%) et les maladies chroniques (5%) sont les problèmes de santé les plus fréquents aussi bien au niveau des adultes que des enfants de moins de 5 ans.

« Nous sommes préoccupés pour les centaines de milliers de personnes dont l’accès aux soins de santé devient chaque jour plus difficile, du fait de ces violences », avait déclaré Peter Maurer président du CICR lors d’une conférence de presse animée le 6 septembre 2019 à Ouagadougou. Tout en appelant à la mobilisation de la communauté internationale, Peter Maurer prévenait que les déplacements de populations et la fermeture des centres de santé peuvent avoir d’énormes conséquences sanitaires. « C’est sur une longue durée que les maladies qu’on croyait disparues vont réapparaître, si la situation perdure », alertait-il.

Moussa Boukary, ressortissant de Soboulé, cultivateur et chef d’une famille de 15 personnes vient de recevoir ses vivres du PAM

En effet, la crise sécuritaire a entraîné la fermeture de 60 formations sanitaires tandis que les prestations ont été considérablement affectées dans 65 autres. Selon l’Agence de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près de 626 000 personnes n’ont plus accès ou ont un accès limité aux services de santé.

Malgré la menace permanente à Djibo, les organisations humanitaires sont aux côtés des populations déplacées. « Outre les actions de réponses humanitaires d’urgence, de résilience et de construction de la paix, nous réaffirmons notre engagement à être aux côtés de toutes les communautés affectées sans aucune distinction, dans le respect strict des principes humanitaires de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et d’humanité », réaffirmaient douze ONGs le 10 avril 2019 à travers une déclaration, non sans rappeler à l’Etat que les acteurs humanitaires éprouvent des difficultés à apporter une assistance appropriée compte tenu du contexte sécuritaire et de la faible mobilisation des ressources financières.

Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

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